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Ca commence aujourd’hui: être maître, splendeur et misère

Par Carole Thiery @carole29t

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Instituteur / professeur des écoles : personne qui enseigne dans les écoles maternelles et élémentaires.

Daniel Lefèvre est instituteur et directeur dans une école primaire d’une petite ville du Nord. De ces bourgades où l’instituteur représente encore quelque chose, le savoir, la connaissance.
Daniel Lefèvre a la trentaine et c’est un passionné. Passionné par son métier et les petits bouts de sa classe de maternelle. Plein de passion aussi quand il s’agit de mettre à la porte une intervenante de la Protection Maternelle et Infantile qu’il juge inefficace là où on aurait besoin d’elle.

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Daniel est un maître d’école mais il est tellement plus que cela pour cette population. Certes, on le voit évoluer dans son milieu naturel, sa classe. On voit le bon maître, celui que ses petits élèves aiment, celui en qui ils ont confiance, celui qui est parfois le seul élément solide de leur environnement. Daniel a le téléphone dans sa classe, comme les directeurs de petites écoles qui ont à la fois charge de classe et d’école, tout le travail administratif rébarbatif, les coups de fil de l’inspection qui interrompent la comptine ou l’histoire, les formulaires statistiques à remplir tous les ans… un travail fastidieux pour une prime de 50 euros mensuelle (c’est ce que j’avais, moi).

Daniel est le dernier à partir de l’école avec sa formidable aide maternelle. Mais Daniel a sur les bras une fillette de CP et son petit frère, un nourrisson, que leur mère ivre a laissés dans la cour à 17h, et s’est enfuie sous le coup de la honte. Alors Daniel appelle la PMI : on lui raccroche au nez après lui avoir indiqué que la place de ces enfants est à la gendarmerie. Qui aurait le cœur de déposer ces enfants à la gendarmerie ? Pas Daniel. Alors il les raccompagne chez eux et découvre un véritable taudis, sans électricité ni chauffage au cœur de l’hiver, et une mère au chômage et dépassée par les événements.

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C’est cela le quotidien de Daniel et de tant d’instituteurs et institutrices : enfants maltraités, battus, violés. Parents au chômage depuis si longtemps que le réveil ne les tire plus du lit à l’heure d’envoyer leur petit vers sa chance : l’école. Enfant de 5 ans au vocabulaire plus pauvre que votre fils de 2 ans. Enfant qui vient à l’école avec un simple pull sur son pyjama…Enfants qui, à midi, déjeûnent de biscuits à la cuiller et d’un verre de lait sur ordre de la mairie car les parents n’ont pas pu payer la cantine depuis 2 mois.

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Autour de Daniel gravitent tous les acteurs de la vie d’une petite école : la collègue proche de la retraite, extrêmement bien notée, qui attend la fin de ce métier qu’elle a follement aimé mais qui l’a usée au fil des années. Jeune recrue de l’IUFM maintenant ESPE), pleine d’entrain et de projets mais que la formation initiale n’a pas préparée à la misère humaine quotidienne, à être à la fois maîtresse et assistante sociale. Aide maternelle dévouée au maximum, comme souvent dans les écoles maternelles.

Daniel a une vie à l’extérieur : une compagne et un beau-fils adolescent avec qui les rapports ne sont pas faciles tous les jours. Il a des parents, un père taciturne et malade, ancien ouvrier de la mine, qui méprise son fils fonctionnaire. Daniel écrit un livre sur cette région qu’il aime tellement et ses « gueules noires ». Mais la vie de Daniel, c’est essentiellement l’école : les fêtes d’école à préparer, les enfants qui se mettent à parler alors qu’on ne les entendait jamais, qui arrivent enfin à écrire leur prénom et dont le visage s’éclaire du sourire de la victoire, mais aussi cet enfant avec des marques de coups sur le corps, cette mère qui n’arrive pas à s’en sortir et appelle à l’aide quand on n’est pas forcément disponible, la visite de l’inspecteur avec ses belles phrases et ses grandes théories, les animations pédagogiques du mercredi matin, qui sont une perte de temps dans 80% des cas (ça n’engage que moi)…et un jour, c’est un drame.

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Daniel, c’est eux, c’est moi, c’est vous. C’est tout ceux qui croient encore que l’enfance est un domaine à préserver. Qui ont des moments de découragement, des larmes de colère et de frustration mais tellement plus de moments de combats et d’acharnement.

Un jour, quand j’étais directrice d’une petite école, un père a été jugé pour le viol de sa fille qui se trouvait en CE1. Pour vice de procédure, les poursuites ont été abandonnées et le père a été autorisé à revenir vivre sous le toit familial auprès de sa femme soumise et de sa victime, plus une autre petite sœur de 4 ans, sous le « contrôle » des services sociaux. Tous les jours, je devais lui remettre sa fille à la sortie de l’école, et je le voyais l’embrasser, l’appeler « ma chérie »…je ne pouvais pas le regarder en face, le dégoût, la colère me rongeaient. Cette petite fille avait des yeux comme je n’en ai jamais revus : vides de tout.

Et ce petit garçon de 4 ans qui vivait en France avec son père et sa sœur jumelle, sans sa maman restée en Afrique ? Jamais je n’ai vu une demande d’amour aussi forte et inassouvie ; il parlait à peine, ne savait pas dire comment il s’appelait, n’avait jamais vu un livre ou un puzzle. Il me regardait de tous ses yeux et me caressait la joue en m’appelant « maman », me cherchait partout, ne supportait pas de ne pas m’avoir dans son champ de vision, et quand ça arrivait, se roulait par terre en hurlant. Je l’ai laissé en changeant d’école, et je ne saurai jamais comment il va évoluer, mais j’y pense presque tous les jours.

Daniel, comme tant d’autre, donne de son temps, de sa patience, de son amour, de son savoir, pour essayer de tirer vers le haut ces petits bouts d’homme et leur donner une chance. Finalement, il ne peut pas grand-chose mais il peut énormément : dans une histoire, un jeu, une comptine rigolote, une caresse sur les cheveux, un sourire…c’est peu mais c’est énorme.

Ca commence aujourd’hui est un film de Bertrand Tavernier sorti en 1999. C’est une fiction avec des moments qui s’apparentent à un documentaire. Le rôle de Daniel est magnifiquement interprété par un superbe acteur, Philippe Torreton. Le film n’est pas parfait, mais il montre bien la réalité d’une école maternelle, ce microcosme où se jouent tant de choses, qui prépare l’avenir et élève vos enfants. Il montre cet équilibre fragile entre l’espoir et la déception, les drames et les joies, et surtout ce qu’on peut faire quand on a la passion.

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Réalisation : Bertrand Tavernier

Acteurs : Philippe Torreton , Maria Pitarresi , Didier Bezace


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