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Irving Penn. La vie en noir et blanc

Par Balndorn
Irving Penn. La vie en noir et blanc
Les expositions photographiques du Grand Palais sont d’une rare qualité. Après Seydou Keïta, voici la rétrospective d’Irving Penn. Un artiste entre portraitiste et photographe de mode, toujours à la recherche de la persona.
L’art des traces
Dès la première salle, consacrée aux années 1940, se révèle le style de Penn. Enseignes de restaurant, pancartes insolites, nature-mortes gastronomiques… Un regard qui traque l’objet singulier, le geste décalé qui dévoile la vérité de l’être.Après les objets, le photographe applique la même recette à ses modèles humains – méthode qui fera son succès et qui l’amènera à intégrer Vogue. Comme pour les nature-mortes, il s’agit d’esthétiser le sujet en le plaçant dans une situation incongrue, à la limite de l’inconfort ; préoccupé par sa situation d’équilibriste, mal installé sur un vieux tapis ou à l’étroit dans un angle du studio, le modèle abaisse ses défenses, et laisse tomber le masque. Ainsi, Hitchcock paraît perdu sur le tapis, et trahit une faiblesse derrière le masque du réalisateur tyrannique ; inversement, Truman Capote se plaît dans les recoins, faisant de sa timidité un charme ; quant à Salvador Dalì, assis en triomphateur, les mains posées avec fermeté sur les genoux, face à l’objectif, il ne perd jamais son masque, car il est le masque.On peut ainsi qualifier son travail photographique de poéthique des traces. Disposant les sujets/objets dans une situation au bord de la rupture, physique comme psychologique, au bord de la crise– et krinein signifie étymologiquement « faire un choix » –, Irving Penn les pousse à bout, les oblige à dévoiler leur vraie personnalité, leur vrai sens au sein de la société. Ce qui affecte les icônes de Vogueou les idoles des Sixties vaut pour sa série Cigarettes. Malmenés, oubliés, abandonnés, ces détritus de notre société de consommation en disent pourtant long sur notre mode de vie : leur accorder un droit à l’image a donc une valeur morale, si ce n’est politique, de mise en doute de notre rapport destructeur aux choses.
Sculpter la persona
D’où l’importance de la mise en scène. Le photographe travaille comme un sculpteur. Pour matériaux, il n’a que le corps, la lumière, et l’ombre. Le noir et blanc accomplit des merveilles, aussi bien pour les portraits de Vogueque la série de Nus. Dans les deux cas, il s’agit de fragmenter le corps, de n’en retenir que des éléments significatifs (le visage, les mains, comme les jambes ou les fesses), d’ériger en icône cette portion congrue. En résulte une beauté saisissante, notamment des Nus, entre la poésie géométrique cubiste et la préciosité de l’orfèvrerie.Photographe de mode, Irving Penn dépasse la frivolité traditionnellement associée au genre. Il n’accable pas non plus les modèles d’interrogations philosophiques ou de quête d’un quelconque au-delà. Il préfère jouer entre les deux, entre la grâce de l’apparence et le trouble du sens : entre la personne et la persona. Car devant l’appareil de Penn, on se dé-masque, ou plutôt on se montre en tant que masque.
Irving Penn. La vie en noir et blanc
Irving Penn, au Grand Palais jusqu’au 29 janvier 2018Maxime

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